PORTRAIT DE BERTRAND BABAUD DE MONVALLIER, CO-FONDATEUR D’OXYGÈNE – 1969-2022

Né à Limoges, Bertrand est le cadet des enfants Babaud de Monvallier. Un brin espiègle et malicieux, Bertrand était un petit garçon farceur qui ne se prenait jamais trop au sérieux. Il n’hésitait pas à prendre part aux débats qui animaient fréquemment les repas de la famille, notamment sur des sujets tels que l’histoire et la politique. C’est d’ailleurs certainement lors de ces échanges que Bertrand a développé un vif intérêt pour l’Histoire et une certaine admiration pour l’Histoire militaire et ses grands noms tels que Napoléon.

La famille a ensuite déménagé à Collioure dans le sud de la France, avant de finalement poser ses valises à la Plagne, où le père de Bertrand avait acquis une agence immobilière.

Il apprend à skier lorsqu’il a une dizaine années et qu’il est en pension. Davantage passionné par le ski que par les études, il quitte les bancs de l’école avant le bac. Son père lui donne alors 500 francs et l’envoie en Angleterre pour apprendre l’anglais. Il y reste une année pendant laquelle il s’enrichit de la culture britannique et travaille en tant que plongeur.

Pour son service militaire, Bertrand a préféré un service long qui lui a permis de découvrir le monde. Alors en poste à Djibouti dans l’est de l’Afrique, une série de malentendus finira par mener Bertrand tout droit au “trou”, avant son retour en France. 

Le ski étant déjà l’une de ses passions, il se lance dès son retour à la vie civile, sur les traces de son frère aîné Pierre et commence la formation pour devenir moniteur de ski. Il obtient son Diplôme d’Etat en 1987. En éternel idéaliste, Bertrand était convaincu que tout le monde pouvait apprendre à skier dans de bonnes conditions, grâce aux bonnes techniques, avec le bon équipement et de la patience. Une pensée qui guidera toute sa carrière.

Pierre et Bertrand, ayant un caractère anticonformiste et persuadés qu’une autre forme d’apprentissage est possible, se lancent rapidement en tant que moniteurs de ski indépendants après une période à l’ESF.

Au début des années 1990, Bertrand travaille une saison au Club Med de Zinal en Suisse, avec pour objectif d’en apprendre plus sur leurs techniques d’enseignement. Un jour, alors que Bertrand et le gérant de l’établissement regardent les montagnes alentour, le gérant lui interdit formellement l’accès à un couloir, sans plus d’explications. L’envie étant trop forte et la météo trop belle, Bertrand se fit un malin plaisir de skier l’interdit. Lorsque le gérant apprit que les traces de ski appartenaient à Bertrand, il décida de le renvoyer sans ménagement pour désobéissance. Ce que le responsable n’avait en revanche pas pris en compte, c’était que Bertrand avait gagné le respect de ses collègues. Ces derniers ont déclaré au gérant que si celui-ci était renvoyé, alors ils démissionneraient tous ! Inutile de préciser que personne n’a finalement été licencié.

Moniteurs de ski indépendants chacun de leur côté, c’est en 1992 que Pierre et Bertrand ont commencé à plancher sur la création de leur école de ski en partenariat avec Ski Beat, un tour opérateur britannique en train de s’installer à la Plagne. Les frères de Monvallier y ont vu l’opportunité de répondre à la demande en plein essor du marché anglais, alors peu développé par l’ESF. Un second partenariat s’est créé avec Mark Warner, un autre tour opérateur britannique et les premiers clients d’Oxygène ont afflué. 

 

Bertrand, moniteur Oxygène en 1994

Bertrand, moniteur Oxygène en 1994

 

Les premières années n’ont pas été sans difficultés. Bertrand et Pierre ont dû mener bien des batailles pour exister et se faire une place face à la dominance de l’ESF, bien décidé à garder toutes les parts du gâteau. Chaque avancée se méritait : point de rendez-vous pour les cours, création d’un jardin d’enfants, mise en place d’oriflammes à l’effigie d’Oxygène ou encore la promotion par l’office de tourisme. Tout était propice à d’interminables négociations, notamment avec les institutions locales. Un dur labeur loin d’être facilité par les tempéraments tumultueux de Pierre et de Bertrand.

Mark Warner étant en pleine expansion à Val d’Isère, une nouvelle opportunité se présente aux frères de Monvallier d’y ouvrir une seconde école Oxygène. Pierre et Bertrand, bien que rassemblés autour de la même passion pour le ski et de la même vision pour leur entreprise, ont vite admis qu’il leur serait difficile de travailler sur le même site, tant leurs caractères et leurs méthodes de travail étaient différentes. Pierre a alors pris les rênes de la création de cette nouvelle école de ski Oxygène à Val d’Isère.

Aux prémices de l’école et par la force des choses, les premiers moniteurs à revêtir les couleurs d’Oxygène étaient des moniteurs qualifiés, également anti conformistes, qui n’avaient pas trouvé chaussure à leur pied dans une autre école. Bertrand leur a donné leur chance en les encourageant à venir travailler avec lui et s’est engagé à les aider à devenir la meilleure version d’eux-mêmes. Beaucoup d’amis et de moniteurs qui ont travaillé avec Bertrand disent qu’ils ne seraient pas là où ils en sont aujourd’hui sans son soutien et qu’ils n’auraient certainement pas atteint leurs objectifs. Il n’hésitait pas à donner de son temps et aimait échanger sur des sujets variés, surtout si une (ou deux) bouteilles de vin et un bon plat étaient aussi de la partie.

Lorsqu’il s’agissait de motiver ses équipes, les allocutions de Bertrand étaient semblables à celles d’un général d’infanterie avant la bataille. Il avait l’art de savoir galvaniser ses troupes et mettait toujours à l’honneur la beauté du métier de moniteur de ski. Il était un chef d’entreprise exigeant, surtout concernant le service client. Il ne cautionnait ni tenue de ski sale, ni barbe mal rasée pour ses moniteurs. Des remarques qui faisaient souvent lever les yeux au ciel ! Ses équipes n’hésitaient pas à charrier Bertrand, qui ne manquait pas d’humour. Intraitable avec les personnes peu investies, il n’hésitait pas à réprimer les membres de ses équipes si nécessaire. Et en même temps, Bertrand était indulgent, compréhensif et juste. Ses équipes de moniteurs ou d’employés savaient qu’ils pouvaient compter sur lui.

 

Une partie de l'équipe de moniteurs de la Plagne, février 2020

Une partie de l’équipe de moniteurs de la Plagne, février 2020

 

Oxygène a toujours été une histoire de famille. Dès le début, Françoise, la maman de Bertrand prenait les réservations et payait leur dû aux moniteurs. En 1994, Julien, son demi-frère qui avait quitté l’école, demande à Bertrand une place dans l’entreprise afin de pouvoir rester à la Plagne. Bertrand lui trouve une place de technicien du ski mais lui dit qu’il ne pourra pas le rémunérer. C’est ainsi que Julien s’est retrouvé à gérer le petit magasin de location de l’époque avec 20 paires de ski. Après cette saison, Julien commence à entrevoir le métier de moniteur de ski comme un métier plus attractif et certainement plus rentable. Il se lance à son tour dans la formation, soutenu par ses frères et enseigne avec Oxygène à partir de 1998. En plus de l’enseignement, Julien ouvre une troisième école Oxygène à Belle Plagne en 2012. Manu, la sœur jumelle de Julien est la dernière à rejoindre l’aventure familiale en 1998. Grâce à son sang-froid, à son sens des affaires et à sa personnalité chaleureuse, elle devient rapidement un membre inestimable et opère en tant que responsable ventes d’Oxygène la Plagne.  

L’un des derniers souhaits du papa de Bertrand avant son décès en 2002 était que toute la famille reste soudée et c’est Bertrand qui a repris ce rôle de chef de famille. Ce dernier a eu 3 enfants avec sa femme Gaëlle : Sixtine, Maxime et Appoline. Il aimait éperdument sa famille et était aussi exigeant avec ses enfants qu’il l’était avec ses équipes. Le temps consacré à sa famille lui était essentiel, notamment les vacances en famille. Afin de pouvoir se consacrer entièrement à sa famille pendant ces moments privilégiés, il ne comptait pas ses heures pour Oxygène. Il était dévoué à ses moniteurs, à ses clients et à ses ambitions pour l’entreprise.

En 2016, Pierre et Bertrand ont eu la possibilité de racheter un petit groupe d’écoles de ski dans les 3 Vallées : Magic in Motion, créé la même année qu’Oxygène par Lulu et Eric. Réticents au début, ils ont rapidement décelé l’aubaine qui se présentait pour le développement d’Oxygène. Par la suite, Bertrand a su identifier d’autres opportunités d’extension, notamment lors du rachat d’une école à Megève en 2018 et l’association avec Starski au Grand Bornand l’année suivante.

 

Pierre et Bertrand lors du rachat de Magic in Motion, 2016

Pierre et Bertrand lors du rachat de Magic in Motion, 2016

A l’heure actuelle, Oxygène compte 14 écoles de ski dans les Alpes françaises. Bertrand avait pour objectif de faire rayonner le nom et la renommée d’Oxygène à l’international. Sur le plan personnel, il aurait voulu continuer à développer l’entreprise et à skier jusqu’à ses 70 printemps. 

En avril dernier, Bertrand a contracté le Covid. C’est à cette période qu’il a commencé à avoir de sérieux maux de tête et des difficultés à s’exprimer. Lorsqu’il a consulté un spécialiste, celui-ci lui a appris qu’il avait développé une tumeur cérébrale. Bertrand n’a jamais baissé les bras et à su rester optimiste. Il s’est fait opérer, puis a reçu plusieurs traitements de chimiothérapie, de radiothérapie et d’immunothérapie. Après 10 mois de lutte, il s’est éteint le 25 février 2022 à l’âge de 52 ans.

Comme à son habitude, Bertrand avait tout prévu, même pour ses funérailles avec un document d’instructions long de trois pages. Une cérémonie de deux heures a eu lieu pour célébrer sa vie. Lectures, oraisons, témoignages vibrants et musiques ont rythmé ce beau moment d’au revoir. Des centaines de personnes ont assisté à cette messe dans l’église de Macôt et tout le monde s’est accordé à dire que ce fut un bel hommage. Il repose désormais dans la sépulture familiale, près de Limoges.

Nous continuerons de penser à Bertrand comme un fils, un frère, un mari, un père et un ami aimant et aimé. Nous nous rappellerons son amour pour l’Histoire et son côté rebelle qui lui a aussi permis de gravir bien des montagnes et de bâtir Oxygène. Nous nous souviendrons de son utilisation abusive de la crème solaire, ses discours vibrants et de son positivisme à toute épreuve. Ce qui nous marquera sans doute plus que tout, c’est son incroyable capacité à révéler et croire en ceux qui ont eu la chance de croiser son chemin.

 

Descente aux flambeaux en hommage à Bertrand, mars 2022

Descente aux flambeaux en hommage à Bertrand, mars2022